La mort lente d’Indy

« To the victor go the spoils. »
— Walt Disney, There can be only one

Le moule est cassé, et l’on regarde bêtement les morceaux : le logo de la Paramount qui ne se transforme pas, la carte des voyages qui ne ressemble pas aux autres, le Barnett College devenu Hunter College… Pire, dès la vraie apparition d’Harrison Ford, les scénaristes, qui s’y sont pourtant mis à quatre, refont l’erreur du Old Indy des chroniques : chaussettes de vieux qui pendent à la fenêtre, corps de vieux, réaction de vieux au bruit des voisins… C’est bien, de vouloir parler de l’âge, mais on n’est pas chez Michael Haneke, comme le rappelle le mouvement de recul de la caméra quand le vieil Indy s’apprête à embrasser la vieille Marion. En fait, le film repose tout entier sur l’erreur du chapeau, celui que Jones a refusé à Mutt à la fin du IV, ou qu’il détache du fil à la fin de ce V : ne pas avoir changé d’acteur, ce qui a pourtant réussi à Mad Max comme à James Bond, et même à Indy au temps de Last crusade

Donc, on n’est pas chez Indiana Jones, et presque moins qu’avec le dispensable Crystal skull, mais tout le propos du long prologue est de convaincre du contraire, en plus de créer la fausse piste d’une nouvelle relique chrétienne : en réunissant les conditions de retrouvailles en toc avec un Indy deaged, et convenablement deaged mais ridiculement artificiel quand on réentend pour la première fois la Raiders March, et qu’il saute entre deux wagons comme dans une scène cinématique. Indiana Jones est un personnage de fiction, dixit Wikipédia, et de ce fait, il n’a pas à vieillir ou pas trop : il se définit aussi bien par sa double vie que par sa veste en cuir, ses aventures rocambolesques que ses éternels quarante ans. Les scénaristes tuent Mutt hors-champ, comme ils avaient tué le père et le père adoptif hors-champ la dernière fois, mais ils inventent une filleule car ils ne savent pas faire autrement que tourner autour, et le rôle est donné à une actrice de second ordre, qui semble hésiter en permanence entre le trop et le pas assez, alors que son front sans ride apparaît comme un affreux pied de nez à son parrain. A moins qu’il ne s’agisse-là de l’annonce d’une série dérivée et superflue à la Edge of history, puisque Disney veut surtout dire Disney+ quand « + » se lit « – », ce choix faisant l’effet d’un substitut rend Indy presque encombrant.

Les seconds rôles, d’un Sallah qui s’agite sur place au nouveau Short Round, en passant par le vieil ami intégré à la bande pour être aussitôt tué, ne sont d’aucune utilité, et le grand méchant est à jauger à l’aune de sa mort, abandonné dans son avion en perdition. Les rares énigmes sont vite évacuées et les inévitables dangers pareillement, mais ils se résument à des murènes et à des scolopendres qui ne gênent qu’un Harrison peu engagé, alors que l’Antikythera servant de MacGuffin, qui promet une relecture du passé d’Indy comme de l’Histoire, ne permet que d’observer une bataille antique sans grand intérêt. Comme s’il fallait respecter un cahier des charges trop pesant, les scénaristes se sont contentés d’un patchwork narratif en abusant de la facilité, d’un morceau de relique dans l’arrière-boutique d’Indy à une Athéna présentée comme la déesse de la guerre, d’une agente du FBI noire dans les années soixante à une femme négociant avec des hommes dans une ville musulmane. La métaphore usée de l’horloge s’oppose à une conquête spatiale qu’ignore Indy, lui qui a pourtant rencontré une soucoupe volante la fois d’avant, et même la photographie concourt à une ambiance quasi sépulcrale, sans dépaysement ni flamboyance, pour un film qui fait moins l’effet d’un testament que d’un linceul.

Pour public averti (ou qui ne comprend pas ce que la compagnie Disney est en train de faire de son enfance) : Indiana Jones and the dial of destiny (2023) de James Mangold (qui avait également enterré Wolverine, mais avec un peu plus de panache), avec aussi Phoebe Waller-Bridge (coresponsable d’un autre ratage de chez Lucasfilm depuis son rachat, à savoir Solo où elle faisait la voix d’un robot) et Ethann Isidore (difficile de passer après Ke Huy Quan quand il vient de rafler un Oscar, mais les enfants prodiges se définissent aussi par rapport à ceux qui ne le sont pas)

Crédits de fin : Fandango, Lucasfilm Ltd., Evolve Media Holdings, LLC, Filmaffinity – Movieaffinity, NiPeMi, MovieWeb/Instagram/Douggy Pledger

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