Parole de flic qui dort

« J’aime qu’on m’aime comme je m’aime ! »

Paroles d’homme

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En ces temps de déconfinement qui n’en sont pas pour l’art ou à peine, il n’est pas possible d’aller de l’avant donc au cinéma, mais il est encore possible de regarder en arrière, et par exemple de se demander si la nanaritude est une posture courante chez ceux qui ont inventé l’art et essai.

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Parce que le cinéma français a géré son tiraillement quasi-historique entre la comédie de papa et l’œuvre à auteur en inventant régulièrement des stars à deux visages, de Gabin à Belmondo, dont tous les films post-Stavisky sont systématiquement massacrés ou presque par la critique la vraie. Et parmi ces monstres de popularité que l’on dit sacrés, il y en a un qui a échoué à atteindre l’équilibre et qui s’est pour ainsi dire enfermé dans cette image qu’il s’est faite de lui-même, j’ai nommé Alain Delon. Et dans la carrière gâtée dès les années soixante-dix du Grand Ténébreux, il y a l’une de ces perles que l’on ne trouve que dans les huîtres qui donnent mal au ventre, et dont l’avantage est de donner ses lettres de roture au diptyque alors que l’époque était à la trilogie. Il s’agit de deux films des années quatre-vingts qui vont ensemble par le fait, et par la grâce d’une version allemande présentant Ne réveillez pas un flic qui dort comme la suite de Parole de flic, dont les titres si subtils proposent un point commun tout aussi subtil mais en cachent plusieurs autres : écrits par le libertaire Frédéric H. Fajardie et réalisés par le larbin José Pinheiro à trois ans d’intervalle, ils illustrent tous deux le carambolage du droitisme de la star et du gauchisme du propos, sous une couche épaisse de culte de la personnalité, et une sous-couche qui ressemble fort à une course à l’échalote avec le frère ennemi Bébel. Mais surtout, ils sont liés par un clin d’œil qui rappelle cette association devenue tellement juteuse entre Alien et Predator, depuis ce crâne de Xénomorphe apparu à la fin de Predator 2 dans le vaisseau des Yautja, car le spectateur attentif n’aura pas manqué de remarquer que la photographie sur la carte de police de l’inspecteur Grindel, celle qui est rageusement déchirée par un effet très spécial à la fin du Flic qui dort, n’est autre que la photographie sur l’affiche à la gloire de l’inspecteur Pratt.

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Delon est forcément flic, ce qui veut dire qu’il incarne une certaine idée de la loi et de l’ordre, et puis Delon est forcément beau, ce qui veut dire qu’il couche avec des jeunettes en rendant les autres jalouses. D’ailleurs, il fait tout plein de gymnastique plus ou moins gratuite pour le montrer dans le premier volet, et convainc par sa seule présence la secrétaire du big boss de tout balancer dans le second. Mais surtout, Delon a le droit de faire ce qu’il fait comme il le fait car il incarne quelque chose, et pour ceux qui ne voient pas bien quoi après qu’il ait chicoté pour rire un Africain dans l’un et collé un autocollant Pinder sur un Africain dans l’autre, on rappellera qu’il a perdu sa fille d’une part et qu’il a perdu son partenaire d’autre part, ce qui fait tout de même beaucoup pour un seul Delon, et on se rappellera que Pinder était justement le cirque où il donna dans les clowneries au sens propre dans Parole. Et puis, il a le droit de faire ce qu’il fait parce que, comme dirait le grand philosophe autrichien Schwarzy, « c’était des méchants », tous ces miliciens à capirote qui passent le Kärcher dans des quartiers complètement fantasmés, et tous ces pétainistes de flic qui n’ont pas encore de Flash-Ball mais font le ménage sans. Il n’y a pas a priori de nanaritude dans ces lignes de force mais il y en a la cause profonde, car la règle d’or ou d’airain qui veut que le Grand Ténébreux soit le centre de toute chose mène vite à une épaisseur de trait qui vire à la caricature, dans des dialogues gnomiques ou des situations manichéennes, et la complaisance s’y ajoute avec le surjeu ou le sous-jeu pour créer très vite ce décalage qui ne trompe pas, et qui marque le passage à cette autre chose dont le rapport maladroit avec une œuvre d’art est à lui seul source de haine ou d’amour.

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Parole de flic qui dort est le Magnum force de Delon à la gloire de Delon si Delon avait aussi voulu refaire Death wish au pays du cinéma et Le marginal par la même occasion, et ce double programme illustre ce que ressentent les mannequins quand leur carrière s’arrête à cause de l’âge, comme si celui qui s’était fait appeler « l’homme » dans Attention, les enfants regardent ne pouvait supporter qu’on ne le supporte pas, mais sans s’attendre à ce que son épanchement de lui-même dans la réalité cinématographique ait pour seule suite la bande-annonce de Ne réveillez pas les couilles d’un flic qui dort.

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Les crédits photographiques dans l’ordre d’apparition : Singulier, PicClick Inc., Marc Dufour, Photos de Cinéma, Your Props, L’Express et XenForo Ltd.

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